
Par Gloire Balolage
La photo des accolades entre Félix Tshisekedi et Martin Fayulu, le 5 juin 2025 au Palais de la Nation, a fait le tour du monde en quelques minutes. Souriants, détendus, presque complices : difficile d’imaginer que ces deux figures majeures de la politique congolaise ne s’étaient plus parlé depuis 2018, année de leur rupture historique après l’élection présidentielle contestée. Mais au-delà du symbole fort, une question cruciale demeure : à quoi mènera cette réconciliation inattendue ?
De l’opposition dure au dialogue inattendu
Depuis sept ans, Martin Fayulu n’a cessé de contester la légitimité de Félix Tshisekedi à la tête du pays. Se proclamant toujours «président élu» après des élections marquées par des soupçons de fraude, il s’est positionné comme la voix implacable d’une opposition radicale. Que signifie donc cette main tendue, dans un moment où le pays traverse l’une des pires crises sécuritaires et sociales de son histoire récente ?
Une main tendue dans un contexte de crise
Ce n’est pas la première fois que la scène politique congolaise offre le spectacle d’ennemis d’hier devenus partenaires de circonstance. Mais dans ce cas précis, la sincérité du geste comme la stratégie politique qu’il sous-tend interrogent. Fayulu parle d’un «camp de la patrie», d’un pacte social, d’un dialogue national. Mais pour aller où ? Et avec qui ?
Crise multidimensionnelle, réponse politique incertaine
Il faut reconnaître que le contexte s’y prête. La situation dans l’est du pays est explosive. Les institutions sont de plus en plus critiquées. La société civile s’essouffle. Le pouvoir d’achat s’effondre. Dans cette atmosphère de désillusion nationale, l’appel à l’unité semble, en apparence, salutaire. Mais un tel appel reste vide s’il ne s’accompagne pas d’un cap clair et d’un cadre politique inclusif.
Une initiative sans feuille de route
Or, c’est justement cette absence de clarté qui trouble. Martin Fayulu affirme ne pas avoir discuté d'une entrée au gouvernement ou d’un partage de postes. Il insiste sur le caractère patriotique de sa démarche. Mais comment dissocier cette main tendue à Tshisekedi d’un début de glissement vers la fameuse «Union sacrée», coalition présidentielle aux contours toujours mouvants ?
Le piège de l’Union sacrée ? Mike Mukebayi tire la sonnette d’alarme
Les critiques ne se sont pas fait attendre. Mike Mukebayi, proche de Moïse Katumbi, voit dans cette rencontre un danger : celui d’un affaiblissement de l’opposition structurée et d’un recentrage autour d’un pouvoir qui ne cesse d’absorber ses adversaires. Il faut dire que le silence de Katumbi sur cette rencontre est éloquent. L’ancien gouverneur du Katanga reste à l’écart, observateur distant d’une recomposition politique dont il ne semble pas vouloir faire partie.
Katumbi : l’absent silencieux
Moïse Katumbi, justement. Là où Fayulu réapparaît sur le devant de la scène, en tendant la main au pouvoir, Katumbi continue de jouer la carte de l’alternative indépendante. Il critique, propose, se positionne. Mais il ne franchit pas le pas de la réconciliation. Dans le paysage politique actuel, son immobilisme devient presque une posture, alors que les lignes bougent ailleurs.
Muzito salue une posture nationaliste
Le Nouvel Élan d’Adolphe Muzito, en revanche, a applaudi la démarche de Fayulu. Il y voit un acte de responsabilité nationale, une preuve de maturité politique. Cela dit, Muzito lui-même a souvent navigué entre radicalité et dialogue, sans jamais vraiment proposer une vision claire pour le pays. La politique congolaise reste marquée par cette instabilité stratégique permanente.
Une opposition écartelée entre dialogue et radicalité
Derrière ce ballet d’alliances et de désaveux, une chose est sûre : Félix Tshisekedi sort renforcé. Sa posture d’homme d’État ouvert au dialogue, de Président capable de tendre la main à ses opposants les plus intransigeants, le positionne favorablement à l’international. Cela lui permet aussi d’enrayer les critiques internes sur sa gestion du pays, en montrant qu’il cherche l’unité.
Mais cette unité apparente risque d’être de courte durée. Car Fayulu, en acceptant de franchir les grilles du Palais de la Nation, rompt avec une partie de sa base. Celle qui le voyait comme l’homme de la résistance, celui qui ne transigeait pas. Comment cette base réagira-t-elle si, demain, son leader commence à prôner la cohabitation ? L’équilibre est fragile.
Tshisekedi, maître du jeu
Tshisekedi, lui, sait parfaitement jouer sur ces ambiguïtés. En 2018, il avait déjà surpris en s’éloignant de l’accord de Genève. Aujourd’hui, il laisse la porte entrouverte à Fayulu, sans lui offrir autre chose qu’une écoute polie et une promesse de réponse. La politique congolaise est un jeu de patience et de calculs. Et le Président n’a jamais été aussi maître de la montre.
Fayulu risque de perdre sa base
La rencontre du 5 juin est donc un moment fort, mais elle ne saurait constituer une fin en soi. Elle ouvre une séquence politique dont les contours restent flous. Dialogue social ? Pacte de la patrie ? Coalition élargie ? Les mots sont posés, mais leur traduction concrète n’est pas encore perceptible.
C’est pourquoi, cette réconciliation ne doit pas être vue comme un aboutissement, mais comme un début. Le début d’un possible virage dans la gouvernance congolaise. Le moment où, peut-être, une nouvelle majorité de projets et non de postes pourrait émerger. Encore faut-il que cette ambition soit partagée, sincère, et qu’elle ne serve pas de simple paravent à des intérêts tactiques.
Un peuple désabusé, mais toujours attentif
Le peuple congolais, qui a tant de fois été déçu par les dialogues sans lendemain, observe cette scène avec prudence. Il attend du concret, pas des accolades. Il veut des solutions aux coupures d’électricité, à l’insécurité dans l’est, à la vie chère, au chômage. Pas des photographies de réconciliation sur papier glacé.
Fayulu doit clarifier sa position
Dans ce contexte, il appartient à Martin Fayulu de clarifier rapidement sa position. S’il s’engage dans une logique de cohésion nationale, qu’il le dise, le structure et en fasse un projet collectif. S’il reste dans l’opposition, qu’il le manifeste aussi avec la même fermeté qu’avant. Mais la zone grise dans laquelle il entretiendrait le doute serait, pour lui, la pire des postures.
La vraie question : quel projet commun ?
L’histoire politique récente de la RDC montre que les grandes réconciliations ont souvent précédé de grandes désillusions. Pour que celle-ci soit différente, elle doit déboucher sur quelque chose de tangible. Une réforme électorale ? Une conférence nationale ? Une coalition de crise ? Le pays a besoin de clarté, pas de théâtre politique.
En fin de compte, le pays ne manque pas d’opposants ni de leaders charismatiques. Ce qui lui manque, c’est une vision unifiée et courageuse. Si Tshisekedi et Fayulu veulent écrire une nouvelle page, elle devra être collective, ouverte, ancrée dans les réalités des Congolais. Sinon, cette grande réconciliation ne sera qu’une illusion de plus.