Par Prehoub Urprus
À la veille du 65e anniversaire de l’indépendance de la RDC -République démocratique du Congo-, le Prix Nobel de la paix, Denis Mukwege, a lancé un vibrant plaidoyer pour la souveraineté, la justice et la dignité du peuple congolais, lors d’une soirée-concert de soutien à l’hôpital de Panzi, ce vendredi 27 juin 2025, à Wolubilis, en Belgique. Dans un discours puissant et sans concession, le médecin congolais a vertement critiqué l’accord de paix signé le même jour, à Washington, entre la RDC et le Rwanda, qualifié de "transaction politique dangereuse" qui légitime, selon lui, l’agression et le pillage.
Saluant l’intention de mettre fin aux hostilités, Denis Mukwege s’est montré profondément sceptique face à ce qu’il perçoit comme un processus opaque, non inclusif et déconnecté de la réalité vécue par des millions de Congolais dans l’Est du pays. Il a rappelé que "plus de 10 millions de compatriotes survivent aujourd’hui entre la famine et la violence, sous le joug de l’Armée rwandaise et de ses supplétifs du M23-AFC, dans l’indifférence de la communauté internationale."
Il reproche au texte signé de ne pas nommer clairement l’agresseur, le Rwanda, dont les actions "défient chaque jour le droit international", et de ne pas reconnaître la RDC comme victime de cette guerre d’agression. Selon Mukwege, "la justice est une condition non négociable de la paix", et cet accord, à l’instar de ceux de Sun City, Kampala ou Goma, sacrifie la justice pour une paix de façade.
Le Prix Nobel a particulièrement dénoncé la mise en place d’un mécanisme conjoint de sécurité, qui autoriserait, selon lui, l’Armée rwandaise à poursuivre ses opérations sur le sol congolais, conditionnant son retrait à la neutralisation des FDLR. "L’agresseur non sanctionné pourra donc poursuivre ses opérations dans les Kivus, avec l’aval du Gouvernement congolais", a-t-il martelé.
Il en va de même pour les négociations avec le M23 à Doha, présentées comme la clé du démantèlement du groupe armé. Pour Mukwege, "l’issue est incertaine" et repose sur la bonne volonté du Rwanda, "qui tire les ficelles de ce groupe armé, même s’il n’a jamais reconnu son soutien."
Au-delà des enjeux militaires et diplomatiques, le docteur de Panzi alerte sur le volet économique de l’accord, qualifié de "scandaleux". Il s’élève contre une intégration économique régionale, qui impliquerait une cogestion des ressources naturelles entre la RDC et le Rwanda. "Sous couvert de coopération économique, les minerais congolais seront exportés à l’état brut vers le Rwanda, qui en tirera la valeur ajoutée", a-t-il expliqué, y voyant une nouvelle forme de "colonialisme extractiviste" et une trahison des intérêts nationaux.
Dans la dernière partie de son discours, Denis Mukwege a appelé le peuple congolais à se mobiliser : "Comment accepter d’abandonner notre souveraineté ? Comment sacrifier la justice sur l’autel d’une paix fragile ?", s’est-il interrogé. S’appuyant sur les articles 214, 56 et 57 de la Constitution, il a rappelé que tout accord de cette nature doit être soumis au Parlement, et qu’en cas de privation des ressources naturelles, cela relève de la trahison.
Si le Gouvernement ne respecte ni la Constitution ni le droit international, Mukwege prévient qu’il "appellera à une véritable révolution démocratique".
Enfin, il a critiqué l’approche bilatérale des États-Unis, affirmant que seule une solution multilatérale, incluant tous les acteurs régionaux et les garants de l’Accord-cadre d’Addis-Abeba de 2013, pourrait offrir une issue crédible et durable. Il a appelé à la tenue d’une conférence internationale de haut niveau et à la revitalisation du cadre régional, avec des sanctions fermes et coordonnées en cas de violations.
"Debout Congolais, et marche pour ta liberté", a-t-il conclu, invitant chaque citoyen à devenir acteur de sa propre émancipation face à ce qu’il qualifie de "tragédie historique" en cours.