![Fred Bauma, analyste et directeur exécutif d'Ebuteli [photo d'illustration]](/sites/default/files/styles/media_interne_1280x720/public/2025-04/IMG-20250419-WA0006.jpg?itok=J31BEMiH)
Par Gloire Balolage
Cette analyse est réalisée par Fred Bauma, analyste et directeur exécutif d'Ebuteli, un institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence, en partenariat avec le GEC -Groupe d’étude sur le Congo-.
La RDC devrait-elle devenir une République fédérale ? C’est ce que propose Olivier Kamitatu, ancien président de l’Assemblée nationale de transition et cadre du parti Ensemble pour la République. Sa proposition a soulevé plusieurs réactions passionnées et parfois des attaques personnelles. Pourtant, cette proposition n’est pas nouvelle.
Venant de Kamitatu, cette proposition est quelque peu surprenante. Son auteur s’était jusqu’ici présenté comme un des gardiens de la Constitution actuelle, pour avoir joué un rôle central dans son élaboration durant la transition politique de 2003-2006. Mais que propose Kamitatu exactement ?
Dans sa tribune, Olivier Kamitatu parle de la nécessité de «réinventer radicalement les structures de gouvernance» de la RDC, pour son décollage économique. Il dresse une critique de la décentralisation prônée par la Constitution actuelle et affirme que la «centralisation excessive (…) freine notre essor.» Il propose une réorganisation territoriale autour des cinq régions, avec autonomie constitutionnelle. Ces provinces bénéficieraient de 60 % de leurs revenus et le pouvoir central en garderait 30 % pour s’occuper de la défense, de la diplomatie et de la politique monétaire.
Les 10 % restants iraient à un «fonds d’égalisation». Cela permettrait, selon lui, de répondre aux besoins des populations, de mieux gérer les ressources et de «libérer le potentiel économique de chaque province.» Cela permettrait aussi de renforcer l’unité nationale.
Ce n’est pas la première fois que ce débat est posé en RDC. Lors de la CNS -Conférence nationale souveraine-, au début des années 90, et, plus tard, au cours du dialogue de Sun City, la division entre les Unitaristes et les Fédéralistes a rythmé le débat national. À la CNS, la majorité des délégués était favorable à ce que la troisième République soit fédérale, selon une étude publiée en 2001.
Les constituants de 2005, incapables de se mettre d’accord, ont, quant à eux, choisi une forme intermédiaire : un État unitaire fortement décentralisé. Toutefois, dans la pratique, le pouvoir central grignote toutes les avancées vers la décentralisation, en bloquant la rétrocession des 40 %, alors même que la Constitution consacre la retenue à la source, et en fragilisant politiquement les institutions provinciales. Récemment, dans sa proposition de projet de nouvelle Constitution, le professeur Isidore Ndaywel avait, lui aussi, suggéré un système fédéral avec une réorganisation territoriale, mais autour des six grandes régions.
Enfin, le fédéralisme est, depuis longtemps, une option fondamentale de certains partis politiques traditionnels comme l’UDPS -Union pour la démocratie et le progrès social- ou, plus explicitement, les DCF -Démocrates chrétiens fédéralistes-, ainsi que les partis ayant leur base électoral au Katanga comme l’UNADEF -Union nationale des Démocrates Fédéralistes- et l’UNAFEC -Union nationale des Fédéralistes du Congo-.
Cependant, aujourd’hui, la proposition de Kamitatu soulève plusieurs critiques. Pour certains, dans une configuration politique fragile, le fédéralisme ferait le lit des ennemis de la RDC, et pourrait accélérer la balkanisation du pays. D’autres affirment que ce débat n’est pas prioritaire, que l’urgence serait de préserver l'intégrité territoriale menacée par la guerre ou encore de subvenir aux besoins de base de la population. Pour d’autres encore, le fédéralisme consacrera la vulnérabilité des provinces de l’est de la RDC face aux menaces du Rwanda et de l'Ouganda.
En réalité, le débat sur le fédéralisme et ses différentes nuances [forte décentralisation, autonomie renforcée des provinces] pose la question de l’éloignement de Kinshasa, de l'accaparement des ressources des provinces par les élites basées dans la capitale et de l’abandon des provinces par le pouvoir central. Ce débat questionne aussi les limites de l’application du principe de la «libre administration des provinces» inscrite dans la Constitution actuelle.
Cependant, le choix de la forme de l'État, qu’il soit unitaire, fortement décentralisé, ou fédéral, ne suffit pas à résoudre les difficultés profondes de gouvernance politique, économique et sécuritaire, ni à remédier à la corruption endémique ou aux problèmes éthiques des responsables publics.
Ebuteli est un institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence. Ebuteli («escalier», en lingala) se donne pour mission de promouvoir, à travers des recherches rigoureuses, un débat informé pour trouver des pistes de solution aux nombreux défis auxquels la RDC est confrontée. Dans un environnement très souvent obscurci par des rumeurs faciles à propager, Ebuteli espère que son travail contribuera à un débat éclairé sur les questions de grande importance nationale.