Discours de Joseph Kabila à la Nation congolaise : Entre riposte politique et devoir patriotique historique !

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Joseph Kabila Kabange, président honoraire de la RDC s’adresse à la Nation congolaise après la levée de ses immunités parlementaires par le Sénat
Joseph Kabila Kabange, président honoraire de la RDC s’adresse à la Nation congolaise après la levée de ses immunités parlementaires par le Sénat

Par Prehoub Urprus

En politique congolaise, les silences sont parfois plus éloquents que les mots. Et quand Joseph Kabila parle, c’est toujours avec la gravité d’un homme qui sait peser le temps. Son discours à la Nation, prononcé ce vendredi 23 mai 2025, dans un contexte de tensions accrues entre l’ancien et l’actuel pouvoir, résonne comme une réplique stratégique et morale à la campagne de diabolisation dont il s’estime victime et à la récente levée de ses immunités parlementaires par le Sénat. Même si, personnellement, il justifie sa sortie médiatique par le fait qu'il refuse de se taire, afin qu'il ne soit pas, par son silence, "rendu poursuivable devant le tribunal de l'Histoire, pour non-assistance à plus de cent millions de compatriotes en danger."

Une prise de parole au parfum d’ultimatum historique

À ceux qui s’interrogeaient encore sur la posture du "Raïs" depuis la fin de son mandat en 2019, la réponse est cinglante : Joseph Kabila ne se dit plus tenu par le silence. Face à ce qu’il qualifie de dérive généralisée, il affirme que continuer à se taire reviendrait à se rendre "poursuivable devant le tribunal de l’Histoire, pour non-assistance à plus de cent millions de compatriotes en danger."

Cette déclaration, lourde de sens, élève son propos au-delà du champ politique ordinaire, pour le placer sur le plan éthique et mémoriel. Joseph Kabila ne se contente pas de dénoncer, il s’érige en témoin de son temps, justifiant son retour dans l’arène par une nécessité patriotique.

Une riposte calibrée au régime Tshisekedi

Mais derrière cette rhétorique empreinte de solennité se cache une stratégie claire : contre-attaquer. Le discours intervient quelques jours seulement après une série d’événements ciblant directement l’ancien Président, notamment la levée controversée de ses immunités parlementaires. Ce qui devait n’être qu’une procédure judiciaire prend, dans son intervention, les contours d’une cabale politique : un acharnement qui viserait à l’éliminer comme acteur public et figure historique.

Kabila renverse la charge : il n’est pas l’homme à abattre, mais le gardien d’un équilibre rompu. Il accuse le régime actuel d’avoir trahi le Pacte républicain, déstructuré les institutions, humilié l’Armée et livré le pays à des logiques de fragmentation identitaire et d’insécurité généralisée.

Une contre-narration du récit officiel

Le cœur du discours de l’ancien Président repose sur une bataille du récit. Là où le régime actuel présente l’ère Kabila comme celle de l’opacité, de l’enracinement autoritaire et de la compromission, l’ancien chef de l’État brosse un tableau inverse : celui d’un héritage républicain, d’une économie résiliente, d’une Armée nationale structurée, et d’une transition pacifique offerte au pays.

Ce contraste n’est pas neutre : il vise à repositionner Kabila comme l’homme de la stabilité perdue, face à un pouvoir qu’il décrit comme enivré par la toute-puissance, méprisant les institutions et sourd aux attentes du peuple.

Le retour d’un acteur ou d’un arbitre ?

Faut-il y voir une simple défense ou un retour programmé ? Kabila entretient l’ambiguïté. Il ne revendique pas de rôle électoral, mais propose un "pacte citoyen" pour refonder l’État. En évoquant sa disponibilité à jouer sa "partition", il réactive les codes de la mobilisation nationale, sans sombrer dans l’opposition frontale classique. C’est là toute la finesse de sa démarche : apparaître à la fois comme homme d’État au-dessus de la mêlée et comme recours face à la crise.

Vers une recomposition politique !

Ce discours ouvre un nouveau chapitre. Il oblige les forces politiques à se repositionner, et, surtout, replace la question de la légitimité au centre du débat national. Face à une gouvernance contestée, à des institutions en mal de crédibilité post-électorale, et à un contexte sécuritaire alarmant, Kabila tente de se présenter comme l’incarnation d’un "autre possible", capable de fédérer autour d’un projet de reconstruction.

Mais l’avenir dira si cette parole tardive ralliera les cœurs et les forces sociales, ou si elle sera perçue comme une manœuvre de revanche politique. Dans tous les cas, le silence est bel et bien rompu. Et le débat, lui, relancé.

Samedi 24 mai 2025 - 08:48