Maintien des élèves enceintes à l'école : Une décision loin de faire l'unanimité entre les défenseurs de l'inclusion scolaire et les partisans de la morale, foi et discipline [sondage]

Catégorie
Image
Photo d'illustration
Photo d'illustration

 Denise Kyalwahi

La décision du gouvernement congolais d’autoriser les filles enceintes à poursuivre leurs études suscite des réactions partagées dans plusieurs cercles : réseaux sociaux, groupes WhatsApp, rues et foyers. Loin de faire l’unanimité, cette mesure relance le débat sur l’égalité des chances, l’inclusion et la moralité dans le système éducatif.

 Une décision historique

Le 14 juillet 2025, le Secrétaire général ad interim du ministère de l’Éducation nationale et de la Nouvelle Citoyenneté de la RDC -République Démocratique du Congo- a adressé aux directeurs provinciaux une note circulaire n°MINEDU-NC/SG/80/DEVC/90/1245/2025. Ce texte, signé par la ministre Raïssa Malu, instruit le maintien des filles enceintes dans les établissements scolaires à travers tout le pays.

L’objectif est clair : promouvoir une éducation inclusive et renforcer l’égalité des chances, conformément aux engagements nationaux et internationaux de la RDC, notamment ceux liés aux droits de l’enfant et à l’égalité de genre.

 Des soutiens enthousiastes à Goma et ailleurs

À Goma, les jeunes de la Global Platform d’ActionAid RDC voient dans cette mesure une avancée significative en matière de justice sociale. Bonheur, membre de la section «Bonne gouvernance», déclare que cette décision met fin à la discrimination en milieu scolaire.

> « La ministre a raison. Cela relève de l’inclusion sociale, où toutes les couches de la société sont prises en compte, quelles que soient leur vulnérabilité ou leur situation», soutient-il.

Victoire Ushindi Mugenzi, masterant en droit public interne à l’Université de Goma, salue aussi la mesure avec enthousiasme. Il a même publié un article dans le bulletin juridique de son université, intitulé :

> «Maintien des filles enceintes dans les établissements scolaires : vers la nécessité de préserver à tout prix l’intérêt supérieur de l’enfant ?»

Dans cet article, Victoire Ushindi évoque, au-delà de l'inclusion scolaire, les engagements juridiques pris par la RDC.

> «Cette instruction découle non seulement de la volonté de garantir une éducation inclusive, mais aussi de l’obligation de respecter les engagements juridiques nationaux et internationaux de la RDC», écrit Victoire Ushindi.

S'appuyant sur la Constitution (article 43), la Convention internationale des droits de l’enfant (1989), la Charte africaine des droits de l’enfant (1990) et la loi de 2009 portant protection de l’enfant (article 68), Victoire Ushindi rappelle que le droit à l’éducation doit être garanti à toutes et tous, sans exclusion.

 Des réserves exprimées : entre prudence et inquiétude

D’autres voix appellent à la prudence. Pour Franck Walya, permettre aux jeunes filles enceintes de rester à l’école est une bonne chose, mais à certaines conditions.

> «Pourquoi ne pas envisager des filières ou écoles spécialisées pour elles ? L’objectif est de les soutenir sans perturber l’harmonie en classe. Il faut un cadre adapté à leurs besoins médicaux et émotionnels, un emploi du temps flexible, un encadrement au retour après l’accouchement», suggère Franck Walya.

Ce dernier insiste sur la réglementation. 

> «L’inclusion doit être réglementée, humaine et équitable», persiste Franck.

De même, plusieurs jeunes membres de GP estiment que l’exclusion scolaire aggrave les inégalités. Une internaute s’indigne dans un groupe WhatsApp sur l'érection de la grossesse en obstacle pour l'accès à l'éducation.

> «Une grossesse ne doit pas être une condamnation à l’ignorance. Ces filles ont droit à l’éducation comme les autres», a-t-elle martelé.

Kahambu Gisèle, enseignante dans une école primaire publique, affirme le salut apporté par cette décision pour plusieurs filles enceintes.

> «Cette décision est salutaire. Elle sauvera des vies. Beaucoup d’élèves enceintes ont recours à l’avortement par peur d’exclusion», soutient Kahambu Gisèle.

 Des oppositions fermes, notamment sur le plan religieux et disciplinaire

Cependant, d'autres voix dénoncent la mesure. Jérôme M., de GP RDC, craint que cette inclusion n’ait des effets pervers.

> «Cela risque de banaliser la grossesse précoce. Les caprices liés à la grossesse peuvent nuire au bon déroulement des cours», redoute Jérôme.

Claude Kasereka, étudiante à l’Université de Goma, pose plusieurs questions pertinentes et légitimes.

1. Qui prendra en charge la scolarité de la fille enceinte : ses parents, le père de l’enfant ou l’État ?

2. Qu’en est-il du respect du congé de maternité ?

3. Comment gérer l’allaitement en classe ?

4. Quelle influence cette fille aura-t-elle sur ses camarades ?

5. Quelle discipline maintenir face à des sautes d’humeur potentielles liées à la grossesse ?

Cela, avant de conclure sur la possibilité d'avoir des institutions scolaires propres aux élèves enceintes.

> «On devrait envisager des établissements adaptés à leur condition, sans les mélanger aux autres», propose Claude Kasereka.

 Une Église catholique en retrait, mais sous pression

Les écoles catholiques s’opposent farouchement à cette directive. Pendant ce temps, certains activistes les invitent à la soumission à la politique de l'État.

> «La RDC est un État de droit. L’Église n’est pas au-dessus de la loi. Elle doit se soumettre à la politique publique, surtout si elle bénéficie de financements publics

Masika Georgine, mère de trois filles scolarisées, appuie la décision du ministère de l'Éducation nationale.

> «Exclure une élève enceinte, c’est compromettre son avenir. Ce n’est pas en rejetant qu’on éduque», confie-t-elle.

Abondant dans le même sens que Masika Georgine, un défenseur des droits humains évoque la prépondérance de la justice sociale sur la foi.

> «L’école doit rester un lieu d’inclusion, de dignité et de respect. La foi ne doit pas supplanter la justice», assène-t-il.

 La CENCO : entre silence et attente

La CENCO -Conférence épiscopale nationale du Congo- ne s’est pas encore exprimée officiellement sur cette décision. Pourtant, certains espèrent son soutien futur. Le Père Camille Mukoso SJ, dans Vatican News, rappelle tout de même le devoir de la CENCO dans la défense des valeurs de la justice sociale.

> « La CENCO joue un rôle majeur dans la protection des mineurs et des femmes. Même si elle ne s’est pas prononcée sur ce point, elle défend les valeurs de justice sociale et de dignité humaine

 Une loi qui divise, mais qui ouvre un débat de société

La note ministérielle vise à corriger une injustice historique : l’exclusion systématique des jeunes filles enceintes du système scolaire. En ouvrant le débat, elle oblige la société à réfléchir à une éducation vraiment inclusive.

Malgré les tensions entre autorités, parents, enseignants et religieux, le gouvernement insiste : aucune élève ne doit être exclue pour cause de grossesse, en vertu de l’article 43 de la Constitution et des lois relatives à la protection de l’enfant.

Étiquettes
Vendredi 18 juillet 2025 - 13:40