
Par Serge Mavungu
De nouvelles révélations fracassantes concernant l’ancien chef de l'État Joseph Kabila Kabange, qui aurait secrètement détenu des parts dans plusieurs grandes entreprises congolaises, via un réseau complexe de sociétés-écrans.
Cette affaire, révélée par Mediapart, repose sur des documents inédits et des déclarations filmées d’une femme d’affaires italienne influente à Kinshasa, Fortunata Ciaparrone.
Pendant les 18 années de règne de Joseph Kabila Kabange, la RDC -République démocratique du Congo- s’est imposée parmi les pays les plus corrompus au monde, selon les classements annuels de Transparence Internationale.
Ce contexte de prédation économique systémique offre peu de surprises à ceux qui découvrent aujourd’hui l’ampleur des opérations opaques pilotées par l’ancien chef de l’État.
Fortunata Ciaparrone, sexagénaire italienne installée depuis longtemps à Kinshasa, se présente comme entrepreneure "productive et honnête". Ex-professeure de langues, elle a gravi les échelons jusqu’à devenir PDG de plusieurs entreprises actives dans les mines, le pétrole et les infrastructures. Elle dirige notamment la SOGEMIP -Société de Génie d’Exploitation Minière et Pétrolière-, un acteur majeur du secteur extractif congolais, en plus de la SESCO et de diverses sociétés minières et industrielles.
Mais derrière cette façade entrepreneuriale, Ciaparrone joue un rôle bien plus trouble. Dans une vidéo confidentielle récemment diffusée, elle reconnaît être le prête-nom de Joseph Kabila dans plusieurs de ces sociétés, affirmant : «En réalité, 25 % est à Kabila.»
Elle détaille la répartition de parts dissimulées dans des entreprises comme CIIG, Texico, Coete Gaz et SOTEXKI. Somme toute, Joseph Kabila détiendrait, juste pour les firmes précitées, au moins 60 % d’un portefeuille d’entreprises stratégiques, sans jamais apparaître officiellement comme actionnaire.
Parmi les révélations les plus marquantes, Ciaparrone décrit une opération fictive de blanchiment des fonds impliquant SOGEMIP et la société LIU Resources. Selon ses dires, la société est "entrée et sortie le même jour" d’un partenariat, pour justifier un transfert de 8 millions de dollars. Une opération, à l'en croire, orchestrée dans le seul but de blanchir des fonds.
SOGEMIP n’est pas un acteur mineur : la société détient des blocs pétroliers majeurs aux côtés de multinationales comme PERENCO et ENI, produisant plus de 10.000 barils de brut par jour. L’ancien ministre congolais des Hydrocarbures, Didier Budimbu, a estimé que certains de ces blocs recèlent des réserves allant jusqu’à 2 milliards de barils, soit une valeur potentielle de 15 milliards de dollars. Une manne colossale dont une partie aurait été captée discrètement par Joseph Kabila.
Ces nouvelles révélations s’inscrivent dans la continuité de l’enquête Congo Hold-Up, menée en 2021 par Mediapart et le consortium PPLAAF. Ce travail journalistique avait démontré comment la famille Kabila utilisait la banque BGFI, pour détourner plus de 140 millions de dollars des fonds publics. La sœur de l’ancien Président, Gloria Mteyu, y apparaissait comme l’un des principaux relais financiers, tout comme l’homme d’affaires chinois David Du Wei, soupçonné d’avoir versé plus de 60 millions de dollars à des proches du clan.
Dans la vidéo analysée par Mediapart, Ciaparrone explique aussi qu'elle suit les instructions directes de Kabila.
«J’ai demandé à Kabila : est-ce que moi je dois signer cette entrée et cette sortie ? – Oui, Madame Tina.»
Ce témoignage semble confirmer que l’ancien Président de la République de la RDC reste activement impliqué dans la gestion de ces montages, malgré son départ officiel du pouvoir en 2019.
Face à la gravité des faits, le silence des autorités congolaises interpelle. Aucun début de procédure judiciaire n’a été engagé contre Joseph Kabila ou ses partenaires. Pendant ce temps, le revenu mensuel moyen en RDC stagne autour de 50 dollars, creusant le fossé entre une population appauvrie et une élite qui continue de concentrer richesses et ressources.
Plus troublant encore, plusieurs sources citées par Mediapart indiquent que Joseph Kabila pourrait actuellement se cacher dans l’Est du pays, aux côtés du groupe armé M23, qu’il est accusé de financer. Ce groupe terroriste actif dans le Nord-Kivu, est régulièrement pointé du doigt pour des exactions contre les civils. Un lien direct entre la fortune détournée et le financement d’un conflit armé ajouterait une dimension explosive au dossier.
Ces nouvelles données posent une question cruciale : la République démocratique du Congo et la Communauté internationale oseront-elles, enfin, affronter les puissants réseaux de corruption qui minent l’État ? La réforme des institutions, la restitution des biens mal acquis et la poursuite des responsables apparaissent comme des urgences nationales.