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Levée des immunités de Joseph Kabila : la RDC à l’épreuve de l’imputabilité entre justice et revanche !

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Le Sénateur à vie, Joseph Kabila Kabange, lors d’une session à la Chambre haute du Parlement
Le Sénateur à vie, Joseph Kabila Kabange, lors d’une session à la Chambre haute du Parlement

Par Prehoub Urprus 

Le jeudi 22 mai 2025 restera sans doute une date charnière dans l’histoire institutionnelle de la RDC -République démocratique du Congo-. Car, en ce jour, le Sénat a levé les immunités de Joseph Kabila Kabange, ancien Président de la République et sénateur à vie, ouvrant ainsi la voie à des poursuites judiciaires contre ce dernier, pour des chefs d'accusation dont les plus graves sont les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, la haute trahison, la collusion avec les rebelles du M23-AFC et le financement du terrorisme lié à la guerre d’agression dans l’Est du pays.

Ce tournant politique et juridique ne saurait être traité à la légère. Il interpelle la conscience nationale sur les fondements de la démocratie, l’indépendance des institutions et le respect des principes d’imputabilité dans un État de droit. Il invite également à revisiter, à la lumière du droit positif congolais, les bases légales qui autorisent une telle décision contre une figure emblématique du pouvoir passé.

Une immunité réelle ou fictive ? Le débat juridique relancé

La levée des immunités de Joseph Kabila a suscité une levée de boucliers dans les rangs du PPRD -Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie-, sa formation politique. Selon certains de ses cadres, le statut de sénateur à vie ne confère pas automatiquement l’immunité parlementaire ordinaire. Pourtant, l’article 104 alinéa 7 de la Constitution et la loi du 26 juillet 2018 portant statut des anciens Présidents de la République élus sont explicites : tout ancien président élu devient de plein droit sénateur à vie, avec les droits y afférents.

De ce fait, l’ancien Président est soumis aux dispositions constitutionnelles concernant les parlementaires, notamment les articles 107 et 108 sur les immunités et les incompatibilités. Toutefois, le caractère spécifique de sa fonction passée exige des modalités particulières en matière de poursuites.

D’ailleurs, l’article 7 de la loi précitée lui garantit l’immunité pour les actes posés dans l’exercice de ses fonctions. 

Cependant, une controverse juridique émerge quant à la procédure suivie. Selon plusieurs analystes, la levée de l’immunité de Joseph Kabila aurait dû impliquer non seulement le Sénat, mais également l’Assemblée nationale, conformément à l’article 8 de la loi précitée. Cet article stipule que "pour les actes posés en dehors de l'exercice de ses fonctions, les poursuites contre tout ancien Président de la République élu sont soumises au vote à la majorité des deux tiers des membres des deux Chambres du Parlement réunies en Congrès, suivant la procédure prévue par son Règlement intérieur." Le fait que seul le Sénat ait statué soulève ainsi des doutes sur la régularité de la démarche, laissant entendre que la procédure pourrait être entachée d’irrégularité. À moins que le Parlement ne se ressaisisse, pour convoquer le Congrès illico presto et statuer sur la question.

Crimes graves, devoirs accrus : la responsabilité pénale d’un ancien chef de l’État

Les accusations portées contre Joseph Kabila ne relèvent pas de la sphère politique ordinaire. Il s’agit de crimes graves affectant la paix et la sécurité nationales. Selon l’article 9 de la loi de 2018, les juridictions nationales ont priorité en matière de crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. Ce choix du législateur souligne la volonté de renforcer la souveraineté judiciaire du pays face à de telles accusations.

En outre, le devoir de réserve et de loyauté à l’État, prescrit à l’article 5 de cette même loi, impose à tout ancien Président de demeurer au service de l’intérêt supérieur de la Nation. Il est donc légitime, dans un contexte où la Nation est confrontée à une guerre d’agression sanglante, que des soupçons de complicité, de financement ou de collusion avec des forces hostiles soient traités avec rigueur et diligence.

Une décision lourde mais nécessaire : renforcer la démocratie par la redevabilité

En autorisant les poursuites contre l’ancien Président, le Sénat n’a pas simplement levé une immunité : il a levé un tabou. Pour la première fois dans l’histoire du pays, un ancien chef de l’État élu fait face à la justice nationale, pour des faits d’une telle gravité. Ce précédent est capital. Il envoie un message fort : nul, fut-il détenteur d’un passé glorieux ou de privilèges institutionnels, ne peut se soustraire aux exigences de la loi.

La démocratie n’est pas seulement une affaire d’élections périodiques. Elle repose aussi sur l’imputabilité, la transparence et l’intégrité des institutions. À ce titre, la démarche du Sénat, aussi controversée soit-elle, s’inscrit dans une dynamique salutaire pour la refondation de la République.

Entre justice et stabilité, un équilibre à préserver

Il revient désormais à la justice militaire de dire le droit avec indépendance, et au pays tout entier de garantir un climat de sérénité, de respect des droits de la défense et d’objectivité dans le traitement du dossier. Dans cette affaire, la RDC joue sa crédibilité nationale et internationale. Mais elle joue surtout son avenir démocratique.

Car, plus qu’un homme, c’est un système de gouvernance et de justice qui est à l’épreuve.

Vendredi 23 mai 2025 - 09:39