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Discussions directes Kinshasa-M23 : une injonction de Washington derrière l’accélération des négociations ? (Décryptage de Nicaise Kibel’Bel Oka)

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Nicaise Kibel’Bel Oka, journaliste d’investigation et expert en questions sécuritaires, stratégiques et géopolitiques dans la région des Grands Lacs
Nicaise Kibel’Bel Oka, journaliste d’investigation et expert en questions sécuritaires, stratégiques et géopolitiques dans la région des Grands Lacs

Par Prehoub Urprus 

Les récents développements de la crise en RDC -République démocratique du Congo- ont pris une tournure surprenante, avec l’annonce du dialogue direct entre Kinsasa et le M23, prévu en Angola le 18 mars 2025. Cette nouvelle donne politique soulève de nombreuses interrogations : pourquoi une telle accélération des événements ? Quelle est la main invisible qui semble orchestrer ce virage stratégique ?

Selon Nicaise Kibel’Bel Oka, journaliste d’investigation, expert en questions stratégiques, sécuritaires et géopolitiques dans la région des Grands Lacs, cette soudaine dynamique s’expliquerait par une pression directe de Washington. Dans un entretien accordé à Congo Guardian, il analyse les dessous de cette évolution et met en lumière le rôle des grandes puissances dans la reconfiguration politique et sécuritaire de la région.

Un revirement dicté par Washington ?

L’annonce des pourparlers entre Kinshasa et le M23 a pris de court de nombreux observateurs. Pour Nicaise Kibel’Bel Oka, ce changement de cap n’est pas fortuit, mais résulte d’une injonction venue d’outre-Atlantique.

"Oui, il y a effectivement de la vitesse. Vraisemblablement, le Président angolais s’est fait porteur d’un message venant d’ailleurs, d’outre-Atlantique. Un message genre injonction et lui enjoignant de voir comment mettre le Gouvernement congolais et les rebelles du M23 autour d’une table. Le contraire m’étonnerait", analyse-t-il.

Cette hypothèse prend d’autant plus de sens que João Lourenço, le Président angolais, avait déjà jeté l’éponge sur ce dossier, jugeant la situation trop complexe. Pourtant, le voici à nouveau en première ligne, pour organiser les négociations. Un revirement qui, selon l’analyste, témoigne d’une pression internationale imposant un règlement rapide du conflit.

"Le temps presse et l’injonction avec lui. Il faut arrêter le scénario congolais", poursuit-il. 

Un déséquilibre dans la médiation ?

L’organisation des négociations interroge également quant à l’identité des médiateurs. Deux d’entre eux appartiennent à l’EAC -Communauté des Etats de l’Afrique de l’Est-, organisation perçue comme biaisée en faveur du Rwanda. Une situation qui rappelle, selon Nicaise Kibel’Bel Oka, les déséquilibres observés lors des négociations de Sun City en 2002.

"Nous sommes dans la situation des négociations qui ont entouré le dialogue entre Congolais de Sun City (2002), où la Communauté internationale a imposé Ketumile Masire, un anglophone et, de surcroît, Président de la Commission du génocide rwandais de l’Union africaine. Il aura fallu crier pour qu’on lui enjoigne une équipe des Francophones dont le Sénégalais Moustapha Niasse. Il faut faire pression sur l’Union africaine pour le rééquilibrage", suggère Nicaise.

Si la nécessité d’un médiateur plus neutre se fait sentir, le choix de Denis Sassou Nguesso comme alternative ne semble pas non plus convaincre le patron du média en lignes lescoulissesrdc.info. Ses proximités avec la France et le Rwanda via Total Énergies pourraient, selon lui, biaiser son impartialité.

L’histoire se répète : un piège pour la RDC ?

Nicaise Kibel’Bel met en garde contre une répétition des schémas passés, où chaque cycle de rébellion aboutit à des négociations, une amnistie pour les criminels de guerre, une intégration politique des rebelles, et une infiltration progressive des institutions congolaises.

"L’histoire des rébellions rwandaises en RDC est riche en enseignements. Elle peut se décliner en : rébellion, massacres des civils, négociations, amnistie pour les crimes de guerre, partage des postes du pouvoir, déversement des personnes non identifiées dans les institutions du pays, brassage, mixage… Bref, infiltration sans résoudre les vraies causes et rendant notre pays vulnérable et fragile", rappelle-t-il.

Face à cette menace, il estime que la Feuille de route de Luanda était une solution plus viable, car elle prévoyait un dialogue entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame, plutôt qu’avec le M23, perçu comme un proxy rwandais.

"Je pense que la Feuille de route de Luanda était la bonne solution. Mais la politique, c’est le réalisme face au rapport des forces", souligne Nicaise. 

Un deal entre Kinshasa et Washington ?

Si la RDC se trouve aujourd’hui dans une position de faiblesse, elle a néanmoins réussi à attirer l’attention des États-Unis, en jouant la carte des minerais stratégiques. D’après Kibel’Bel Oka, Washington aurait accepté l’offre de Kinshasa en matière d’exploitation minière, mais poserait comme condition une stabilisation rapide de l’Est.

"Tout en étant en position de faiblesse, l’offre faite aux Américains reste valable et à soutenir, si on veut de la paix en RDC et pour les Congolais, également pour toute la région des Grands Lacs", estime-t-il.

L’Union européenne, de son côté, est accusée de favoriser le pillage des ressources congolaises à travers son allié rwandais : "L’Union européenne a opté pour le pillage de nos matières premières critiques et la défense de ses intérêts économiques à travers son courtier, le Rwanda. La Chine ne s’intéresse qu’aux minerais et non aux conflits armés", explique le journaliste.

L’Europe en retrait : les enjeux du pétrole

L’Union européenne et particulièrement la France semblent adopter une posture attentiste. Nicaise Kibel’Bel y voit un lien avec les intérêts énergétiques français en Afrique, notamment via Total Énergies. "La France, c’est la locomotive de l’Europe avec l’Allemagne. Or, il se fait que la France a des intérêts gaziers sur le continent. À travers Total Énergies, la France exploite le pétrole en Angola, au Congo-Brazzaville, bientôt en Ouganda et le bloc gazier au Mozambique."

Cette mainmise énergétique explique, selon Nicaise, le manque d’engagement européen dans la résolution du conflit congolais. L’axe Washington-Kinshasa pourrait donc représenter une alternative, pour sortir de l’impasse, à condition de bien négocier.

Vers un tournant décisif ?

Alors que la date du 18 mars 2025 approche à grands pas, la RDC se retrouve à un tournant de son histoire. Ces discussions pourraient aboutir à une pacification durable ou à une énième intégration des rebelles dans l’appareil d’État, fragilisant davantage le pays.

Pour Nicaise Kibel’Bel Oka, la priorité doit rester la fin du pillage et de l’instabilité, mais aussi l’évitement d’un nouveau piège politique :

"Ce qui compte dans tout ce bouillonnement, c’est d’abord la fin du pillage et de l’instabilité, la fin des massacres et de l’invasion rwandaise, pour sortir de la guerre hybride. Mais il faut trouver le juste milieu entre les États-Unis et la Chine", a-t-il déclaré. 

L’issue des négociations dépendra donc de la capacité de Kinshasa à négocier habilement, sans tomber dans les pièges du passé, tout en tirant profit des intérêts géopolitiques des grandes puissances.

Dimanche 16 mars 2025 - 09:25