
Par Prehoub Urprus
Une rumeur persistante, un cliché sans source sûre, des déclarations de proches… et aucun élément vérifiable. Depuis le 18 avril 2025, le pays bruisse d’une possible arrivée de Joseph Kabila Kabange, Président honoraire et sénateur à vie, à Goma, épicentre d’une région sous occupation de l'Armée rwandaise via ses supplétifs du M23-AFC. Mais, jusqu’à ce jour, aucun enregistrement vidéo ni photo authentifiée ne permet d’attester formellement sa présence sur le sol congolais. Ce flou alimente les passions, attise les spéculations, et jette une ombre encore plus dense sur une actualité nationale déjà traversée par de profondes fractures sécuritaires, politiques et institutionnelles.
L’attente d’un mot, d’un geste… ou d’une image
À défaut de preuve matérielle de sa présence, c’est la parole de ses proches qui sert de fil conducteur. Ils annoncent une communication imminente de l’ancien Président. Mais quel en sera le contenu ? Un soutien à la rébellion ? Une main tendue vers le pouvoir ? Ou un manifeste pour une nouvelle ère politique ? À mesure que le mystère s’épaissit, les attentes se polarisent. D’un côté, ceux qui voient en Kabila un potentiel médiateur ; de l’autre, ceux qui redoutent son instrumentalisation par des forces extérieures. Son silence sur l’agression étrangère et l’occupation d’une partie du pays avait déjà été vivement critiqué par le Président Tshisekedi et plusieurs figures de l’Union sacrée. Son apparition (même supposée) en territoire contrôlé par le M23-AFC ne fait qu’envenimer le climat.
Réaction gouvernementale en rafale
Sans attendre une quelconque "confirmation" de sa présence ou de sa position, le Gouvernement a réagi avec fermeté. Suspension des activités du PPRD -Parti du Peuple pour la Reconstruction et la Démocratie- [parti politique de l'ancien Président], poursuites judiciaires annoncées contre Kabila et ses proches, saisie de biens, interdiction de mouvement pour plusieurs cadres du PPRD, etc. Une démonstration de force aux accents préventifs, qui semble répondre plus à un symbole qu’à des faits établis. Car, en l’absence de preuves tangibles, le régime prend le risque d’agir sur des suppositions, avec toutes les conséquences que cela comporte.
Un bouclier juridique complexe à percer
Rappelons que Joseph Kabila bénéficie d’un double régime d’immunité : ancien Président élu et sénateur à vie. Toute poursuite nécessiterait une décision de la Cour constitutionnelle, après saisine par le Sénat ou le procureur général. Une procédure longue, incertaine, et éminemment politique. Si Kinshasa s’engage sur ce chemin sans preuve formelle de l’arrivée ou des intentions de Kabila, elle pourrait se heurter à un mur juridique.
Un pari risqué pour le régime Tshisekedi
En poussant l’offensive judiciaire à l’extrême, le pouvoir actuel expose plusieurs vulnérabilités :
1. Internationalisation du dossier : Si Kabila est bel et bien [ou, est arrivé] en RDC, mais dans une zone tenue par le M23-AFC, toute action à son encontre pourrait compliquer les rapports déjà tendus avec Kigali, et perturber les équilibres régionaux.
2. Fragmentation politique interne : En l’absence de preuves, les accusations peuvent apparaître comme une stratégie d’intimidation. Le FCC et le PPRD pourraient s’unifier autour de Kabila, même fantomatique, dénonçant une "chasse aux sorcières"
3. Renversement de la perception publique : Si l’ancien Président venait à apparaître en médiateur ou en porteur d’un message de paix, les accusations actuelles pourraient se retourner contre leurs auteurs. L’opinion, notamment dans l’Est meurtri, pourrait reconsidérer les rôles.
4. Reconfiguration des alliances locales : À Goma, Bukavu, Bunagana ou Rutshuru, tout geste brutal contre l’image de Kabila, même non confirmée, pourrait provoquer un réalignement stratégique des acteurs locaux.
Entre retour fantasmé et manœuvre réelle
La question centrale reste donc posée : Joseph Kabila est-il réellement arrivé à Goma ? Et si oui, dans quel cadre ? Le régime agit comme si sa présence était confirmée. Or, l’absence de preuves visuelles ou sonores fragilise toute riposte et offre à Kabila une aura d’autant plus énigmatique. Ce retour/passage, réel ou fantasmé, devient un puissant levier de communication et de recomposition politique.
Doha, diplomatie de l’ombre et perturbations collatérales
Alors que l’attention est focalisée sur l’Est, les projecteurs devraient aussi éclairer Doha, où se poursuivent des négociations sensibles entre la RDC, les pays de la région et divers acteurs influents du conflit. La mise en accusation de Kabila pourrait :
1. Diviser davantage le camp congolais, et compliquer la cohésion indispensable aux négociateurs;
2. Provoquer un repositionnement des puissances régionales, notamment si Kigali interprète les accusations comme une attaque indirecte contre ses propres intérêts;
3. Geler les pourparlers, certains médiateurs estimant que la conjoncture politique interne congolaise est trop instable pour garantir une avancée crédible.
Conclusion provisoire : quand le flou devient arme politique
En réagissant à un événement encore non documenté, le pouvoir congolais joue une carte à très haut risque. Si la présence ou le passage de Joseph Kabila à Goma s’avère n’être qu’un mirage, Kinshasa aura offert à l’ancien Président un immense capital symbolique, sans même qu’il ait prononcé un mot ou foulé un sol congolais.
En revanche, si cette énigme se transforme en réalité, tout dépendra du message qu’il délivrera. Ce message pourrait faire basculer le pays vers une issue de crise… ou l’enfoncer dans une rupture historique sans précédent.