
Par Prehoub Urprus
Le Président togolais Faure Essozimna Gnassingbé s’illustre, quelques jours après sa nomination, dans les efforts de résolution du conflit qui oppose la RDC -République démocratique du Congo- au Rwanda. Un engagement marqué par une série de rencontres stratégiques : à Luanda avec João Lourenço, l’interlocuteur désigné de l’Union Africaine ; à Kigali avec Paul Kagame ; puis à Kinshasa avec Félix Tshisekedi. Des pas diplomatiques importants, qui signalent une volonté de s’investir dans la restauration de la paix dans la région des Grands Lacs. Mais l’entrée du Président togolais dans cette médiation ne se joue pas sur un terrain vierge.
En effet, pendant que Faure Gnassingbé déploie ses efforts sur la scène visible, des pourparlers se tiennent à huis clos à Doha, au Qatar. Ces discussions, menées dans une discrétion quasi totale, rassembleraient des représentants de Kigali et de Kinshasa, sous l’égide d’acteurs internationaux triés sur le volet. Leur confidentialité alimente autant d’espoirs que de suspicions. Et pose une question cruciale : comment articuler ces deux dynamiques sans les faire entrer en collision ?
Deux médiations, deux logiques ?
D’un côté, l’initiative togolaise se veut africaine, portée par un chef d’État non directement impliqué dans la crise. De l’autre, les négociations de Doha semblent s’inscrire dans une logique plus géopolitique, où certains États non africains chercheraient à tirer les ficelles à l’abri des caméras. La discrétion autour de Doha peut être interprétée comme une volonté d’éviter la surmédiatisation et les pressions internes, mais elle soulève également des interrogations sur la transparence et la légitimité des accords en gestation.
Faure Gnassingbé devra ainsi jongler avec une équation délicate : comment faire exister sa médiation, sans entrer en concurrence avec les processus parallèles ? Comment éviter d’être instrumentalisé ou marginalisé ? Et surtout, quelle sera sa marge de manœuvre, si les accords secrets de Doha aboutissent à des engagements déjà scellés en coulisses ?
Un test d’équilibre entre ambition diplomatique et lucidité géopolitique
Faure Gnassingbé a, jusqu’ici, cultivé une image de dirigeant mesuré, adepte du dialogue et de la diplomatie discrète. Mais la crise RDC-Rwanda est un champ de mines diplomatique et économique, où tout faux pas peut ruiner une réputation. Le danger n’est pas seulement dans l’échec, il est aussi dans la perception d’une posture intéressée. Car, derrière l’argument de la paix, plane toujours l’ombre des ressources de la RDC. À l’instar d’autres médiateurs venus "aider", Gnassingbé devra convaincre qu’il n’est pas en quête d’une rente diplomatique ni d’un accès facilité aux minerais stratégiques congolais.
Une opportunité de rupture ?
L’entrée du Togo dans ce processus pourrait être salutaire, à condition qu’elle soit coordonnée avec les autres initiatives en cours. Plutôt que d'opposer Doha et Lomé, la voie de la complémentarité pourrait être explorée, à travers un front africain plus affirmé qui refuse de laisser aux puissances extérieures le monopole de la paix régionale. Ce serait aussi, pour Faure Gnassingbé, l’occasion d’inscrire son nom dans une histoire de médiation sincère, loin des ambitions personnelles ou des jeux d'influence.
Conclusion : entre deux feux, un chemin étroit
L’histoire s’écrit à plusieurs niveaux, et Faure Gnassingbé marche sur une ligne de crête. Trop timide, il risque l’effacement ; trop ambitieux, il pourrait perdre sa neutralité. Entre les pourparlers secrets de Doha et les attentes de toute une région assoiffée de paix, le Président togolais a une chance rare : prouver que la diplomatie africaine peut encore parler d’égal à égal avec les grands manœuvriers de l’ombre. Mais pour cela, il lui faudra plus que des rencontres : une vision, du courage, et, surtout, une loyauté indéfectible envers la vérité des peuples.