Par Gloire Balolage
Dans un communiqué de presse publié à l’approche de son retrait programmé fin octobre, Médecins Sans Frontières (MSF) dresse un constat alarmant sur la situation des violences sexuelles à Salamabila, dans la province du Maniema. Depuis 2019, l’organisation humanitaire a pris en charge 16 445 survivant·e·s de violences sexuelles dans cette zone, révélant l’ampleur d’une crise largement ignorée par les acteurs nationaux et internationaux.
MSF tire aujourd’hui la sonnette d’alarme : malgré des avancées concrètes dans la prise en charge et la sensibilisation, la situation demeure critique. L’organisation appelle à une mobilisation urgente des autorités congolaises, des bailleurs et des partenaires humanitaires pour éviter que les progrès accomplis ne soient réduits à néant.
La province du Maniema, située entre le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, reste profondément affectée par les violences sexuelles. La présence d’acteurs armés, souvent motivés par le contrôle des ressources naturelles, mais aussi des violences domestiques ou liées au banditisme, continue d’alimenter cette urgence de santé publique.
Un témoignage, recueilli en 2025 par MSF, illustre l’horreur quotidienne : « Cette fois, c’est la troisième fois. Ils m’ont encore trouvée dans la maison. J’étais avec mon enfant, qui est épileptique. Nous avons toutes les deux été violées. »
Pour répondre à cette crise, MSF a mis en place à Salamabila une approche communautaire innovante centrée sur les Agents de Santé Reproductive (ASR), des femmes issues de la communauté, parfois elles-mêmes survivantes de violences sexuelles. Formées pour offrir une assistance médicale et psychosociale gratuite, rapide et confidentielle, ces ASR ont assuré la prise en charge des trois quarts des cas en 2024.
« Une ASR m’a trouvée en pleurs, m’a écoutée, m’a donné un médicament et m’a orientée vers l’hôpital. J’ai été soignée gratuitement. » Témoignage d’une survivante. Ce modèle décentralisé, salué pour son efficacité et sa proximité avec les victimes, est aujourd’hui menacé par le retrait de MSF.
MSF justifie son retrait par la nécessité de réorienter ses ressources vers les crises les plus urgentes, dans un contexte de réduction drastique des financements humanitaires.
« Nous considérons que les objectifs du projet sont atteints aujourd’hui. Après toutes ces années de présence continue, nous devons faire le difficile choix opérationnel de continuer à déployer notre aide médicale là où les besoins sont les plus criants », déclare Idrissa Campaore, Responsable des programmes MSF dans le Maniema.
« Des besoins importants persistent néanmoins à Salamabila. Les acteurs nationaux et internationaux doivent agir et prendre le relais. »
MSF insiste sur l’importance de maintenir une prise en charge holistique pour les survivant·e·s, incluant soins médicaux, soutien psychologique et accompagnement socio-économique. Le non-traitement dans les 72 heures peut exposer les victimes à des infections comme le VIH, et à des grossesses non désirées dans les 120 heures suivant l’agression.
« Aujourd’hui, beaucoup de femmes ayant subi un viol ont le courage de consulter », explique Elodie Françoise, responsable médicale du projet. « Dans un contexte comme celui de Salamabila, c’est une victoire. »
MSF a également mené un travail de sensibilisation auprès des hommes à travers l’« école des maris », qui a touché 1 520 participants. L’objectif : combattre la stigmatisation et déconstruire les préjugés. « Peu à peu, nous avons vu des maris inciter leur femme à venir nous voir, et même les accompagner. C’était inimaginable avant », ajoute Elodie Françoise.
Le départ de MSF fait craindre un effondrement du système de prise en charge mis en place. « Ce que je redoute, c’est le retour à la case départ… une fois que MSF aura terminé ses activités, il y aura rupture sur la prise en charge curative, même psychosociale », alerte le Médecin chef de zone, Charles Bamavu.
Le sous-financement chronique du Maniema aggrave cette situation. En 2024, la province n’a reçu que 2,5 % des fonds du Fonds Humanitaire de la RDC. Par ailleurs, la fermeture stratégique de l’aéroport de Bukavu depuis février 2025 rend la zone encore plus enclavée et difficile d’accès.
Depuis 2019, MSF soutient les services de santé de l’hôpital général de Salamabila, de 5 centres de santé et de 13 agents de santé reproductifs.
L’organisation humanitaire conclut son communiqué avec un appel clair : le modèle mis en place à Salamabila est reproductible, efficace et vital. Il ne doit pas disparaître avec le départ de MSF.