Négociations manquées à Luanda et rencontre surprise à Doha : quel avenir pour le conflit dans l'est de la RDC ? (Analyse du GEC)

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Jason Stearns fondateur du Groupe d’étude sur le Congo (GEC), [photo d'illustration]
Jason Stearns fondateur du Groupe d’étude sur le Congo (GEC), [photo d'illustration]

Par la rédaction 

Dans cette analyse du GEC -Groupe d’étude sur le Congo-, Jason Stearns, son fondateur, revient sur les récents développements du conflit dans l’est de la RDC -République démocratique du Congo-. Cette semaine qui vient de se clôturer devait marquer un tournant, avec des négociations historiques à Luanda entre le Gouvernement congolais et les rebelles du M23. 

Cependant, les négociations ont été annulées. Et, à la place, une rencontre surprenante a eu lieu à Doha entre les Présidents congolais Félix Tshisekedi et rwandais Paul Kagame, autour de l’émir du Qatar. Que faut-il comprendre de cette évolution et que signifie-t-elle, pour l’avenir du processus de paix dans la région ?

Le conflit en RDC -République Démocratique du Congo-, particulièrement dans la région de l'est, semble à un tournant avec des négociations manquées à Luanda et une rencontre surprise à Doha entre les Présidents congolais Félix Tshisekedi, rwandais Paul Kagame et l'émir du Qatar. Ce retournement de situation soulève des questions cruciales sur l'avenir du processus de paix dans la région. Que faut-il comprendre de cette nouvelle dynamique ?

Le contexte des négociations de Luanda

Au départ, la semaine semblait marquer un tournant pour la RDC. Le Gouvernement congolais devait, enfin, négocier avec les rebelles à Luanda, en Angola, dans un cadre historique, qui, pour la première fois depuis 2022, devait réunir les belligérants pour tenter de trouver une solution. Cependant, ce qui aurait dû être un événement marquant a tourné au fiasco. Les négociations se sont finalement tenues sans la présence du M23 -Mouvement du 23 mars-, et surtout pas à Luanda.

Les raisons de l'échec des négociations sont multiples. La première est d'ordre politique : l'UE -Union européenne- avait imposé des sanctions sévères contre le M23 et plusieurs responsables rwandais. Parmi les cibles, la raffinerie d'or du pays et des figures clés de l'Armée rwandaise. Ces sanctions, bien plus dures que prévues, ont mis de l'huile sur le feu dans les relations déjà tendues. De plus, des difficultés logistiques, notamment pour transporter la délégation du M23 depuis l'Ouganda, ont compliqué les discussions. Mais le facteur crucial semble être la méfiance croissante du Rwanda à l’égard de la médiation angolaise, perçue comme trop proche de Kinshasa.

L'implication du Qatar : un acteur surprenant

C’est là qu’intervient le Qatar, un acteur surprenant dans ce dossier. Bien que ce pays du Golfe ait multiplié ses efforts de médiation dans diverses crises internationales, son implication dans le conflit congolais remonte à plusieurs années. Le Qatar entretient des relations étroites avec le Rwanda, notamment à travers des investissements dans les infrastructures aéroportuaires rwandaises. Cette proximité pourrait expliquer l’implication de Doha dans ce conflit complexe.

Le Qatar a déjà fait preuve de son expertise en matière de médiation, notamment dans les négociations entre les États-Unis et les Talibans en 2021. De plus, son rôle de facilitateur dans les conflits au Tchad ou encore avec Israël et le Hamas a renforcé sa position en tant que médiateur international. L’émir du Qatar, depuis 2022, a cherché à organiser des discussions entre la RDC et le Rwanda. Ses tentatives de conciliation ont été soutenues par des puissances mondiales, dont la France et les États-Unis.

Les enjeux économiques derrière l'implication du Qatar

L’implication du Qatar ne relève pas uniquement du domaine diplomatique. D’un point de vue économique, la stabilité de la RDC est d’un grand intérêt pour le Rwanda, partenaire stratégique du Qatar. Le commerce entre les deux pays, notamment via l’aéroport de Bugesera, est essentiel pour la région. Le rôle du Qatar pourrait aussi être interprété comme une manière de garantir cette stabilité perdure dans un contexte régional tendu.

Le résultat de la rencontre à Doha

Malgré des attentes élevées, la rencontre surprise à Doha n’a pas abouti à une percée significative. Les discussions ont débouché sur un accord de cessez-le-feu «immédiat et inconditionnel», un engagement réitéré par de multiples acteurs internationaux. Cependant, ces engagements de cessez-le-feu ont une histoire de non-application. Des accords similaires ont été signés par le Kenya, les États-Unis, et l’Angola, mais tous ont échoué, souvent en quelques jours seulement.

La montée des tensions sur le terrain

Sur le terrain, la situation reste volatile. Après l’annonce de l’accord de cessez-le-feu, les rebelles du M23 ont poursuivi leur avancée vers l’ouest, en prenant le contrôle de Walikale-centre, dans le Nord-Kivu, illustrant la fragilité de l’engagement signé à Doha. Ces développements soulignent les défis constants du processus de paix, qui à s’imposer face aux réalités militaires.

La complexité du processus de paix

Le processus de paix, aujourd’hui dominé par une multiplicité d’acteurs régionaux et internationaux, souffre de sa complexité. La fusion des processus menés par la SADC -Communauté de développement de l’Afrique australe- et l'EAC -Communauté d’Afrique de l’Est-, bien que positive sur le papier, n’a pas encore produit des résultats concrets. L’implication continue de l’Angola et la nomination d’anciens chefs d’État comme facilitateurs n’ont pas suffi à rétablir la stabilité.

Les ambiguïtés du rôle de l’Angola

L’Angola, malgré son annonce de prise de distance, semble toujours impliqué dans le processus, notamment par son Président João Lourenço, mandaté par l’UA -Union africaine-. Cela soulève des questions sur l’équilibre des pouvoirs dans la médiation et l’objectivité de différents médiateurs.

Un processus de paix fragmenté et en échec ?

Le problème majeur de ce processus de paix est sa fragmentation. Chaque pays impliqué semble avoir ses propres priorités et objectifs, souvent divergents. Tandis que le Rwanda et le M23 continuent de profiter de cette situation d’incertitude, les autres acteurs de la médiation peinent à coordonner leurs efforts. La RDC, quant à elle, se trouve dans une position fragile, ne pouvant véritablement compter sur un soutien unifié.

Les sanctions internationales et leur efficacité

Les sanctions internationales, notamment celles imposées par les États-Unis et l’Union européenne, n’ont pas eu l’effet escompté sur les troupes du Rwanda et du M23. Ces sanctions semblent impuissantes face à l’élan militaire des rebelles et de leurs soutiens. L’évolution de la situation pourrait dépendre davantage de l’efficacité de la médiation qatarienne que des pressions économiques internationales.

L’avenir incertain du conflit

Alors que les tensions sur le terrain restent vives et que les négociations restent suspendues à de nouveaux acteurs, l’avenir du conflit dans l’est de la RDC demeure incertain. 

Le rôle du Qatar pourrait-il réussir là où d’autres ont échoué ? Seul le temps nous le dira. Mais la situation actuelle indique qu’une nouvelle approche de la diplomatie pourrait être nécessaire, pour parvenir à une paix durable.

En conclusion, le conflit en RDC est plus que jamais dans une phase de transition incertaine, avec des acteurs régionaux et internationaux qui peinent à faire converger leurs intérêts. Si les médiations précédentes ont échoué, l’implication du Qatar pourrait marquer un nouveau chapitre. Mais il reste à voir si cette diplomatie d’influence sera suffisante, pour mettre fin à un conflit qui dure depuis près de trois décennies.

Samedi 22 mars 2025 - 20:42