Par Prosper Buhuru
Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo a pris, le week-end dernier, à Kinshasa, la présidence tournante de la CIRGL -Conférence internationale sur la région des Grands Lacs-. Ce passage de témoin entre le chef de l’État congolais et son homologue angolais João Lourenço dépasse la simple formalité institutionnelle : il consacre une continuité dans l’ascension diplomatique de la RDC et confirme le retour affirmé du pays au cœur des enjeux régionaux.
Depuis 2019, la trajectoire est lisible. En un quinquennat, le Président Tshisekedi a successivement présidé l’Union Africaine, la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) puis la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). La prise de commandement de la CIRGL s’inscrit dans cette même dynamique, avec un poids politique accru et une responsabilité qui s’étend désormais à l’une des sous-régions les plus stratégiques, et les plus instables, du continent.
Le Sommet de Kinshasa a rappelé l’urgence de la situation. Dans son message au nom d’Antonio Guterres, l’Envoyé spécial des Nations Unies pour les Grands Lacs, Huang Xia, a réitéré l’appel à la cessation des hostilités dans l’Est de la RDC et à la mise en place de mécanismes garantissant l’acheminement de l’aide humanitaire. Autrement dit, la nouvelle présidence congolaise s’ouvre dans un contexte d’extrême tension, mais aussi de grande attente.
Tshisekedi, qui dit assumer cette charge "avec humilité et détermination", entend imprimer sa marque. Dès le début de son mandat, cinq axes prioritaires ont été affichés : réforme institutionnelle de la CIRGL, consolidation de la paix et de la sécurité régionales, coopération judiciaire, lutte contre l’exploitation et le commerce illicites des ressources naturelles, et intégration économique renforcée. À travers eux, le chef de l’État souhaite transformer une organisation longtemps perçue comme consultative en un véritable instrument de stabilité et d’influence.
À Kinshasa, son équipe de communication ; plus organisée et réactive, selon plusieurs observateurs ; a souligné la volonté du Président de rendre effectif le programme de traçabilité des minerais, un enjeu majeur dans une région où la question des ressources alimente les tensions depuis des décennies.
"Cette nouvelle responsabilité confirme une fois de plus la stature diplomatique de Félix Tshisekedi sur la scène régionale et continentale", analyse un spécialiste, saluant la constance de cette montée en puissance.
Mais cette présidence se joue aussi dans un moment charnière. Elle intervient alors que Kinshasa et la rébellion du M23-AFC venait de signer à Doha un accord-cadre devant ouvrir la voie à un processus de paix complet. Ce parallélisme entre avancée diplomatique et défis sécuritaires place la RDC au centre d’une équation complexe : accompagner une dynamique de réconciliation tout en rappelant, par la présidence de la CIRGL, les principes de souveraineté et d’intégrité territoriale qui fondent la stabilité régionale.
Les deux années à venir seront donc décisives. Elles diront si le Président Tshisekedi parvient à transformer ce nouveau mandat en outil d’influence durable, capable de repositionner définitivement la RDC comme moteur politique, diplomatique et économique de la région des Grands Lacs. Ce défi, sans doute l’un des plus ambitieux depuis le début de son leadership continental, déterminera sa capacité à faire de la CIRGL non plus un simple forum, mais une plateforme stratégique pour la paix et le développement durable.