
Par Gratis Makabi
Le Secrétaire général de JED -Journaliste en danger-, Tshivis Tshivuadi, a tenu, ce lundi 18 mars 2024, au Cepas, une conférence de presse des organisations professionnelles des médias, sur l'affaire Stanys Bujakera Tshiamala.
Devant les hommes de médias, Tshivis Tshivuadi retrace en grandes lignes, la chronologie et les péripéties judiciaires du dossier Stanys Bujakera, ainsi que les conclusions de JED, 48 heures avant le verdict.
"Stanislas Bujakera Tshiamala a été arrêté le 8 septembre 2023, à l’aéroport de Kinshasa- Ndjili, au moment où il s’apprêtait à embarquer sur un vol à destination de Lubumbashi.
Il est arrêté sur base d’un avis de recherche daté du 7 septembre 2023. Stanis Bujakera était donc déclaré en fuite, alors qu’il n’a jamais été convoqué. Cela fait presque sept mois que ce journaliste internationalement reconnu, correspondant de Jeune Afrique et de Reuters, directeur de publication adjoint d’Actualité.cd, père de deux enfants en bas âges, est détenu à la prison centrale de Makala, où il passe ses nuits dans une cellule avec dix autres détenus", apprend-on.
Le SG de JED de poursuivre : "Son procès a été ouvert devant le tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe, où Il est accusé d’avoir fabriqué et relayé sur la messagerie whatsapp, un rapport de l’ANR qualifié de faux par les autorités congolaises, et portant sur la mort de l’ancien ministre et député de l’opposition, Cherubin Okende. Selon l’accusation, c'est-à-dire le Ministère public, c’est ce rapport qui aurait servi de base à des articles publiés par plusieurs médias dont Jeune Afrique.
Défaillances des accusations du Ministère public relevées par les avocats du journaliste
Ils ont rappelé que Stanis Bujakera n’était pas l’auteur de l’article incriminé ; que le parquet était en possession de messages internes à Jeune Afrique où Stanis Bujakera expliquait à l’un de ses collègues de Jeune Afrique qu’il ne s’était pas occupé de ce dossier. Une pièce que l’accusation s’était bien gardée de verser au dossier.
Ils ont relevé que le parquet accusait Stanis, à la fois d’avoir reçu d’un compte télégramme un document qualifié de faux, et, à la fois, de l’avoir fabriqué lui-même.
Mis face à cette contradiction, le Ministère public a poussé sa mauvaise foi jusqu’à dire que Stanis pouvait se l’envoyer à lui-même d’abord sur Télégramme, puis sur Whatsapp.
Lors de ces audiences, nous avons entendu ce même Ministère public qualifier Stanis Bujakera de “diable”, trahissant ainsi la haine que toute cette procédure sous-tend.
Lors d’une audience, le 08 mars, Monsieur le Procureur a déclaré devant le Tribunal, que la condamnation de Stanis Bujakera servira de leçon aux autres journalistes, dont Patient Ligodi, le Directeur de ACTUALITE.CD, qu’il a cité nommément.
Sur le fonds de l’affaire, le parquet n’a apporté aucun élément de preuve sur toutes ses accusations de fabrication de faux documents ou de falsification des documents officiels, en l’occurrence, le sceau de l’ANR.
Le parquet n’a fourni aucune capture d’écran d’un quelconque message accompagnant la transmission dudit document, alors qu’ il était en possession de tous les téléphones de Stanis pendant plusieurs semaines.
Par contre, les avocats de Stanis ont prouvé que le sceau qualifié de vrai par l’Accusation et opposé au faux qui se trouverait sur le document incriminé était lui-même un faux. Puisqu’à la demande des avocats, l’ANR a produit un spécimen de sceau encore différent des deux premiers.
Questions : Qui a alors fabriqué le faux sceau de l’ANR produit par le parquet ? Pourquoi se retrouve-t-on aujourd’hui avec trois sceaux différents ?
Le Tribunal n’a pas jugé utile de clarifier ces graves zones d’ombres.
L’Accusation a également cité une adresse IP et affirmé qu’elle a permis de lier l’envoi dudit document à Stanis Bujakera.
Vérification faite, cette adresse IP était utilisée par un serveur en Espagne. La société qui en est propriétaire, Bullhost, a même publiquement expliqué que ce serveur était à usage interne, et qu’il ne communique jamais aucune information au monde extérieur, pas plus à Stanis Bujakera qu’à un autre.
Face à toutes ces incohérences, les avocats n’ont cessé de solliciter auprès du tribunal une contre-expertise sur l’ensemble des éléments pseudo-techniques fournis par le parquet, et sur lesquels se base toute l’accusation.
Un expert agréé, greffier dans une autre Cour, a été désigné. Les avocats ont dit qu’il n’avait ni la compétence, ni le matériel pour mener cette contre-expertise. Il a jeté l’éponge au bout de deux mois.
Les avocats ont tenté de fournir au tribunal des noms des Experts nationaux et internationaux qu’il a refusé d’entendre.
A l’audience du 8 mars 2024, l’expert désigné par le tribunal ne s’est pas prononcé sur les accusations de fabrication du sceau ou d’imitation de la signature par Stanis Bujakera. Il n’en fait même pas mention dans son rapport, il a conclu qu’il lui était difficile de confirmer que le document incriminé était diffusé en premier par le journaliste.
Nous avons suivi comme tout le monde, dans les médias du monde et sur les réseaux sociaux, des professionnels des médias, des représentants des plus grandes organisations de défense des droits de l’homme et des droits des journalistes, nationales et internationales, des artistes partout à travers le monde, s’indigner de cette arrestation du journalistes Stanis Bujakera.
À cause de ce dossier, la RDC fait l’objet d’une plainte devant le groupe de travail de l’ONU sur les détentions arbitraires.
Le Chef de l'État charge la justice congolaise
Récemment, nous avons entendu de la bouche même du Président de la République et premier magistrat de ce pays, dire que Stanis Bujakera était “peut-être victime des tergiversations de la justice”. Il a annoncé qu’il allait “mettre son nez” dans ce dossier, pour y voir un peu clair. On ne connait pas la suite de cette annonce. Sans doute qu’il a senti aussi que c’est effectivement un dossier qui sent mauvais.
Conclusion de JED
Au regard de tout ce qui précède, et après avoir suivi les réquisitoires du Ministère public, qui a requis 20 ans de prison contre notre confrère, et à 48h du verdict de ce procès injuste, nous, les Organisations professionnelles de la Rdc, nous lançons un appel vibrant aux Juges du Tribunal de Grande Instance de la Gombe, pour qu'ils fassent montre d’un ultime sursaut d’honneur et d’indépendance, en ordonnant l’acquittement pur et simple de Stanis Bujakera.
En tout état de cause, et quel que soit le verdict qui sera prononcé à son sujet, ce mercredi 20 mars 2024, l’histoire retiendra que ce journaliste était Innocent de toutes les accusations portées contre lui. Que le procès de Stanis Bujakera était un procès politique. Son arrestation et sa détention pendant plus de 6 mois constituent des plus graves atteintes à la liberté de presse et d’expression, que les autorités congolaises pouvaient commettre et elles l’ont fait.
Face aux périls qui menacent désormais les fondements mêmes de la démocratie dans notre pays, nous, journalistes et professionnels des médias congolais, nous devons rester mobilisés contre toute tentative de confiscation ou remise en cause de nos espaces de liberté chèrement conquis. Car, à travers le procès Stanis Bujakera, c'est l’avenir de la presse libre et indépendante qui est en danger.